MEXIQUE
Le cadre juridique de la liberté religieuse et son application effective
Au Mexique, la liberté religieuse est garantie par la Constitution[1] et son exercice est réglementé par la loi sur les associations religieuses et le culte public (Ley de Asociaciones Religiosas y Culto Público, LARCP)[2].
L’article 24 de la Constitution mexicaine[3] est calqué sur l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il dispose : « Toute personne a droit à la liberté de conviction dans le domaine moral, à la liberté de conscience et de religion, et d’avoir ou d’adopter, le cas échéant, celle de son choix. Cette liberté comprend le droit de participer, individuellement ou collectivement, tant en public qu’en privé, à des cérémonies, actes de dévotion ou actes religieux du culte respectif, à condition que ceux-ci ne constituent pas un crime ou délit puni par la loi »[4]. L’article 1er de la LARCP précise, en matière de croyances religieuses, que nul n’est « dispensé en aucun cas de se conformer aux lois du pays »[5].
L’article 1er de la Constitution réitère ces libertés en établissant que toutes les autorités publiques ont l’obligation de promouvoir, respecter, protéger et garantir les droits de l’homme[6]. L’article 24 ajoute que « le Congrès ne peut pas dicter des lois qui établissent ou abolissent une religion donnée »[7].
L’article 1er interdit également la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationale, le sexe, l’âge, le handicap, la condition sociale, la santé, la religion, les opinions, les préférences sexuelles, l’état matrimonial ou tout autre facteur portant atteinte à la dignité humaine[8].
La Loi fédérale sur la prévention et l’élimination de la discrimination (Ley Federal para Prevenir y Eliminar la Discriminación) qualifie de discriminatoire toute tentative de limiter la libre expression des idées, ainsi que toute action visant à faire obstacle à la liberté de pensée, de conscience ou de religion et aux pratiques ou coutumes religieuses, à condition que ces dernières ne portent pas atteinte à l’ordre public[9]. En mai 2022, un amendement a défini ce que l’on entend par discrimination[10].
Pour sa part, la LARCP réglemente divers aspects de la vie des associations religieuses, tels que leur nature, leur constitution et leur fonctionnement (articles 6-10), les relations avec les associés, les ministres du culte et les représentants religieux (articles 11-15), le régime de propriété (articles 16-20), les actes religieux de culte public (articles 21-24), les relations des autorités avec les associations religieuses et leur activité (articles 25-28), les infractions à la loi et les sanctions correspondantes (articles 29 à 36)[11].
L’article 130 de la Constitution établit la séparation entre l’État et l’Église, qui est réitérée aux articles 1er et 3 de la LARCP[12]. Ce principe de séparation s’étend également à l’enseignement public qui, conformément à l’article 3 (I) de la Constitution, doit « être maintenu entièrement à l’écart de toute doctrine religieuse »[13].
Pour éviter l’ingérence de l’État, il est constitutionnellement interdit aux autorités d’intervenir dans les affaires internes des associations religieuses (article 130, b), ainsi que dans les manifestations religieuses individuelles ou collectives, sauf lorsque cela est nécessaire pour garantir le respect « de la Constitution, des traités internationaux ratifiés par le Mexique et des autres lois applicables et la protection des droits des tiers » (article 3 de la LARCP)[14].
De même, les fonctionnaires fédéraux, provinciaux et municipaux « ne peuvent assister officiellement à aucun acte religieux de culte public ou activité ayant des motifs ou des objectifs similaires », sauf dans l’exercice des pratiques diplomatiques (article 25 de la LARCP)[15].
En ce qui concerne l’indépendance de l’État vis-à-vis des religions, l’article 24 de la Constitution dispose : « Nul n’est autorisé à utiliser les actes publics d’expression religieuse à des fins politiques, pour faire campagne ou comme outil de propagande politique »[16]. L’article 130 (c et d) de la Constitution interdit aux membres du clergé d’exercer des fonctions électives[17].
Cette interdiction générale est conforme aux articles 55 (VI) et 58 de la Constitution, qui interdisent aux membres du clergé de devenir députés fédéraux ou sénateurs[18]. L’article 82 (IV) interdit au Président du Mexique d’être ministre du culte[19].
L’interdiction est réitérée par la LARCP, selon laquelle les membres du clergé ne peuvent pas occuper de fonction publique, bien qu’ils « aient le droit de vote dans les conditions prévues par la législation électorale applicable » (article 14)[20].
La Constitution (article 130, e) et la LARCP (article 29, X) comprennent encore d’autres interdictions affectant la séparation de l’Église et de l’État, notamment l’interdiction faite aux membres du clergé de s’associer les uns aux autres à des fins politiques, de faire de la propagande pour ou contre tout candidat, parti ou association politique, ou de s’opposer « aux lois du pays ou à ses institutions lors de réunions publiques »[21].
De même, les associations religieuses et les membres du clergé ne peuvent posséder ou administrer des concessions de télécommunications, à l’exception des publications imprimées à caractère religieux (article 16 de la LARPC)[22].
En outre, l’article 130 a) de la Constitution précise que seules les Églises et les groupes religieux enregistrés ont la personnalité juridique[23]. L’article 7 de la LARCP fixe les conditions et exigences qui doivent être remplies à cet effet, qui sont les suivantes : « Toute personne qui demande l’enregistrement d’une association religieuse doit prouver que l’église ou le groupe religieux : 1. est principalement impliqué dans l’observance, la pratique, la propagation et l’enseignement d’une doctrine religieuse ou d’un ensemble de croyances religieuses ; 2. a exercé des activités religieuses dans la République mexicaine pendant au moins cinq (5) ans et a des racines bien connues dans la population, en plus d’avoir son domicile dans la République ; 3. dispose de biens suffisants pour remplir sa mission ; 4. dispose de statuts conformément à l’article 6, deuxième alinéa ; et 5. s’est conformé, le cas échéant, aux dispositions de l’article 27, alinéas I et II, de la Constitution »[24].
Une fois constituées, les associations religieuses ont le droit de s’identifier par une dénomination exclusive, d’établir leurs structures internes de gouvernance et de fonctionnement, de célébrer des actes de culte public et de diffuser leur doctrine, ainsi que d’établir et de gérer des établissements de bien-être, d’éducation et de santé, à condition qu’ils ne soient pas à but lucratif (article 9 de la LARCP)[25].
L’article 27, alinéa II, de la Constitution reconnaît également la capacité des associations religieuses valablement constituées d’acquérir, de posséder ou d’administrer des biens[26]. Cependant, tout comme la Constitution (article 130), la LARCP (article 15) refuse aux membres du clergé le droit d’hériter par testament de personnes qu’ils « ont spirituellement dirigées ou assistées et qui ne sont pas des parents au quatrième degré »[27].
En règle générale, les actes de culte public doivent être accomplis dans des lieux de culte. Ce n’est que dans des circonstances extraordinaires qu’ils pourront avoir lieu en dehors de ceux-ci (article 24 de la Constitution et article 21 de la LARCP), à condition d’en informer au préalable les autorités compétentes, au moins 15 jours avant la date à laquelle ils ont lieu[28]. Ces dernières ne pourront les interdire que « pour des raisons de sécurité et de protection de la santé, de morale, de tranquillité et d’ordre public, ou pour protéger les droits de tiers » (article 22 de la LARPC)[29].
Il convient de mentionner en particulier la liberté de conscience, qui est couverte par l’article 24 de la Constitution, telle qu’elle s’applique aux soins de santé. L’article 10 bis[30] de la Loi générale sur la santé[31] accorde au personnel médical et infirmier employé dans le Service national de santé le droit à l’objection de conscience, ajoutant que l’objection de conscience ne peut être un motif de discrimination sur le lieu de travail.
Cependant, en septembre 2021, la Cour suprême de justice[32] a invalidé cet article 10 (Bis), statuant qu’il n’établissait pas les limites nécessaires pour garantir que l’objection de conscience puisse être exercée sans compromettre les droits humains d’autrui, notamment le droit à la santé. À la lumière de ce qui précède, la Cour a exhorté le Congrès à réglementer l’objection de conscience[33].
Incidents et développements
Les épisodes de violence contre des prêtres, des religieux et des institutions de l’Église catholique au Mexique sont suivis par le Centre multimédia catholique (CCM), qui compile des données depuis 1990 et publie des rapports annuels depuis 2018. Les rapports pour 2023 et 2024 ont répertorié les meurtres de trois prêtres, ainsi que cinq cas de voies de fait graves. Ils soulignent qu’au cours du mandat de six ans du Président Andrés Manuel López Obrador, 10 prêtres ont été assassinés[34], 10 autres ont été victimes de violences, et il y a eu environ 900 épisodes d’extorsion visant des membres de l’Église catholique[35].
En 2023, le Père Javier García, de la paroisse de Capacho, dans le Michoacán, a été abattu[36], tandis que le Père José Angulo Fonseca aurait été assassiné par son propre frère, à Jalisco[37]. En février 2023, peu après avoir célébré la messe au Chiapas, le Père Marcelo Pérez a été abattu dans sa voiture. Le Père Marcelo était un autochtone Tzotzil connu pour son activisme en faveur des peuples autochtones[38]. En octobre 2024, les autorités ont annoncé l’arrestation de son meurtrier présumé[39]. En janvier 2023, le curé de l’église du Mont Sion, au Chiapas, a été assassiné après avoir affirmé avoir été victime d’extorsion[40].
La violence a également touché les laïcs. En juin 2023, deux catéchistes ont été assassinées alors qu’elles se rendaient à une procession eucharistique[41]. En novembre 2024, un enfant de chœur et son frère, qui aidait leur mère à nettoyer l’église, ont été tués dans une fusillade près de l’église paroissiale de Notre-Dame de Guadalupe, à Veracruz[42]. En janvier 2025, un pèlerin en route vers San Juan de los Lagos a été abattu dans la soirée alors qu’il campait[43]. La Conférence épiscopale mexicaine a demandé aux autorités d’enquêter et d’assurer la sécurité[44]. En mars 2025, sept membres d’un groupe de jeunes de Guanajuato ont été assassinés par un groupe armé. Les autorités ont découvert plus de 50 douilles et des trous dans les murs de l’église[45].
Le Père Omar Sotelo, directeur du CCM, a expliqué que le crime organisé avait introduit une culture de corruption et de mort, qui à son tour a conduit à l’effondrement social, nourrissant une culture de la drogue et de la violence liée à la drogue[46].
Dans le cadre d’autres cas de violence survenus au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, un homme a tenté de poignarder l’archevêque de Durango, Mgr Faustino Armendáriz, après la messe, dans la sacristie de la cathédrale[47]. En réponse, les citoyens ont organisé une campagne pour exiger que les autorités renforcent la législation afin de défendre la liberté religieuse[48]. Le Père José Filiberto Velásquez – qui avait dénoncé les conflits entre bandes criminelles – a été agressé alors qu’il se trouvait dans sa voiture, qui a été touchée par au moins deux balles[49]. Une bande armée a volé plusieurs voitures arrêtées sur une autoroute en raison du brouillard, dont une qui transportait Mgr Eduardo Cervantes Merino, évêque d’Orizaba, et les prêtres qui l’accompagnaient, qui ont tous été dépouillés de leurs biens, dont l’anneau épiscopal[50]. Mgr Gonzalo Alonso Calzada Guerrero a été ligoté, dépouillé de ses effets personnels et abandonné sur une colline[51]. Des assaillants armés ont pillé une maison appartenant aux Légionnaires du Christ, où vivait Mgr Pedro Pablo Elizondo, évêque de Cancún, avec certains de ses prêtres[52]. Enfin, le Père Abraham Hernàndez, de la paroisse du Christ Sauveur, dans la capitale, a reçu des menaces de mort pour non-paiement de l’argent de la protection[53]. Le climat d’impunité actuel favorise les actes d’intimidation répétés des organisations criminelles contre les membres du clergé qui résistent à leurs revendications.
La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a appelé le gouvernement à assurer une sécurité efficace aux onze membres de la communauté jésuite de Cerocahui, à Chihuahua, au motif qu’ils se trouvent « dans une situation grave et urgente en raison des menaces et du harcèlement des groupes criminels organisés »[54].
Outre les atteintes à la vie et à l’intégrité physique des religieux et des laïcs au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, il y a également eu plusieurs cas de vandalisme, d’atteintes aux sentiments religieux et d’entraves graves à l’exercice de la liberté religieuse. Le rapport du CCM indique qu’au cours des six dernières années, les attaques contre les lieux de culte et les profanations se sont multipliées au point d’atteindre une moyenne de 26 par semaine[55].
L’Association des pasteurs évangéliques a dénoncé le fait que les trafiquants de drogue dans l’État du Chiapas exigeaient le paiement de 1 500 dollars américains par mois, en guise de protection pour permettre aux églises de rester ouvertes[56]. De telles menaces se sont également produites dans la capitale[57]. Catholiques et évangéliques ont dénoncé une vague de violence qui les a contraints à fermer des lieux de culte[58], et la communauté évangélique de l’État d’Hidalgo a déclaré que ses dirigeants étaient harcelés, les obligeant à déménager. Cinq mois plus tard, ils sont retournés chez eux, grâce à un accord entre l’État et les autorités municipales[59].
Il y a eu plusieurs cas de profanation, comme dans la paroisse Sainte-Marie-Madeleine, à Kino, dans l’État de Sonora, où des statues de saints ont été détruites[60]. Le Saint-Sacrement a été dérobé dans la chapelle du Seigneur de la Moisson, dans la ville de Jiutepec[61]. L’église de Santiaguito d’Iruapato, à Guanajuato, a été victime d’un incendie criminel[62]. Des hommes masqués ont ligoté un prêtre et pillé la paroisse Saint Louis de Gonzague, à Mexico, emportant des objets liturgiques en argent[63]. Dans la paroisse du Verbe Incarné de Cuidad Frontera, dans l’État de Coahuila, des voleurs ont dérobé plusieurs objets et profané le Saint-Sacrement[64]. Dans la paroisse Saint Felipe de Jesús de l’archidiocèse de San Luis Potosí, des calices et des ciboires avec des pierres précieuses et des caméras vidéo ont été volés[65]. Un pasteur évangélique des États-Unis a détruit une image de Notre-Dame de la Guadalupe avec une hache dans le cadre de son sermon[66], et un homme est entré dans l’église du Saint-Esprit à Culiacán, dans l’État de Sinaloa, pendant la messe, détruisant plusieurs images pieuses et profanant l’Eucharistie[67].
Un homme a été tué lors d’un conflit entre bandes criminelles dans le village de Santa Anita, à Guachochi, dans l’État de Chihuahua, et l’église a été touchée par des centaines de balles, tandis qu’un prêtre réussissait à sauver trois enfants pris entre deux feux[68]. Le porte-parole de l’archidiocèse de San Luis Potosí a exprimé son inquiétude face aux attaques constantes contre les églises du centre historique de la ville et au climat général d’insécurité[69]. Enfin, des membres de la Garde nationale sont entrés dans la paroisse du Sacré-Cœur de Veracruz pendant la messe dominicale alors qu’ils poursuivaient un immigré qui s’était caché dans l’église[70].
Tout comme lors des périodes qui faisaient l’objet des rapports précédents, les manifestations organisées à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, ont donné lieu à des actes de vandalisme contre des biens publics et privés, notamment des églises catholiques, qui ont été recouvertes de graffitis ou endommagées de diverses manières dans plusieurs États du pays, notamment Oaxaca, Durango, Aguascalientes, Monterrey, León et Puebla. À Mexico, des manifestants ont allumé des incendies à l’extérieur de la cathédrale métropolitaine et lancé des feux d’artifice par-dessus les clôtures érigées pour protéger le bâtiment[71].
Les médias évangéliques et laïcs ont dénoncé le harcèlement effectué par les catholiques. En décembre 2022, une femme baptiste de l’État d’Hidalgo a été attachée à un arbre et frappée par des responsables de l’administration locale qui tentaient d’empêcher les baptistes de cultiver leurs terres[72]. Une église évangélique a été incendiée à Oaxaca parce que les autorités ecclésiastiques refusaient de payer des frais liés à une fête patronale. La communauté a ensuite accusé la ville de refuser un permis pour la reconstruire, au motif qu’il s’agissait d’une zone à majorité catholique[73]. Au Chiapas, une maison a été incendiée suite à des tentatives de construction d’une église évangélique. La population locale, essentiellement autochtone, pratiquait traditionnellement le catholicisme ainsi que les croyances autochtones, mais de nombreux autochtones ont récemment adopté la foi évangélique[74]. Au moins 500 évangéliques ont été déplacés de leurs communautés villageoises dans la région d’Oaxaca après avoir refusé de renoncer à leur foi[75]. Ceux qui se convertissent à des confessions chrétiennes non catholiques affirment être victimes d’attaques, et la police et l’armée ont dû intervenir pour endiguer les conflits[76]. Les incidents contre les communautés évangéliques ont conduit le Congrès d’Oaxaca à ordonner aux villes locales de lutter contre l’intolérance et de mettre en œuvre des programmes visant à inculquer le respect des croyances religieuses[77].
Au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, la Cour suprême de justice du pays a traité des affaires liées à la liberté religieuse. Trois plaintes ont été déposées contre des villes du Yucatán, visant à empêcher l’utilisation de l’argent public pour financer des crèches, arguant que cela violait les principes d’un État laïc. La question a suscité de nombreuses discussions[78]. Finalement, l’un des plaignants a abandonné l’action en justice et la Cour n’a jusqu’à présent rendu que des projets d’arrêts sur la question[79]. L’Église catholique a participé au débat et a appelé au respect de la liberté religieuse[80]. Une autre controverse a éclaté concernant les changements apportés au contenu des manuels scolaires destinés aux enfants des écoles primaires, qui sont distribués gratuitement et sont alignés sur le plan « Nouvelle école mexicaine » du Président López Obrador, incluant l’idéologie du genre et les principes socialistes marxistes avec lesquels de nombreux parents ne sont pas d’accord. La décision de modifier le contenu sans la participation ou la consultation préalable des différents agents du monde éducatif, comme l’exige la loi sur l’éducation, a été critiquée[81].
Entre-temps, les tribunaux mexicains ont donné raison au diocèse de Querétaro, qui a rejeté la demande d’une personne transgenre visant à ce que son sexe soit modifié sur son acte de baptême « pour refléter sa prétention d’être une femme plutôt qu’un homme ». Ce fait implique la reconnaissance de l’autonomie des organisations religieuses[82].
Le Tribunal électoral a statué que la figure de la « Sainte Mort », une image d’un squelette se faisant passer pour la Vierge Marie en imitant son apparence, et considérée comme faisant partie d’un culte satanique, ne représentait pas un symbole religieux et que, par conséquent, son utilisation dans la propagande électorale ne violait pas le principe de laïcité de l’État[83]. D’autre part, il a estimé que les déclarations faites par le Cardinal Juan Sandoval auraient pu affecter le processus électoral et violer ainsi la séparation entre l’Église et l’État. Il avait déclaré dans une vidéo : « Si ceux qui sont au pouvoir gagnent, le communisme arrivera »[84].
L’Institut électoral de Tamaulipas a réprimandé un prêtre pour avoir enfreint le principe de laïcité en célébrant une messe pour marquer le début de la campagne électorale[85].
En avril 2025, la Cour suprême de justice a conclu que le droit à la liberté religieuse n’était pas absolu mais limité par la Constitution, lorsque celle-ci dispose qu’il ne couvre pas les pratiques religieuses classées comme des délits. La sentence faisait référence au cas d’une prêtresse de la religion « Santería cubaine » qui avait porté plainte pour tenter de pouvoir commettre des pratiques considérées comme nocives pour les animaux[86].
Concernant le pouvoir exécutif, en novembre 2023, le Président López Obrador a demandé à rencontrer la Conférence épiscopale pour discuter des problèmes du pays[87]. En avril 2024, des photos de t-shirts avec une image similaire à la « sainte mort » et portant des slogans de soutien à López Obrador sont devenues virales. Le Président a réagi en semblant cautionner cette action comme une expression de la liberté religieuse des citoyens. Il a ajouté que chacun avait le droit d’avoir ou de ne pas avoir une religion et qu’il fallait respecter les croyants[88]. L’Église catholique a exprimé son inquiétude face au culte de la « sainte mort » et à la narcoculture, qu’elle considère comme des moteurs de la violence et de la culture de la mort[89]. Quelques jours plus tard, l’ancien Président accusait le Cardinal Juan Sandoval d’avoir demandé aux États-Unis d’intervenir dans la campagne présidentielle de 2006 pour l’empêcher d’accéder au pouvoir[90]. En octobre 2024, dans son premier message après son élection, l’actuelle Présidente Claudia Sheinbaum a déclaré que son gouvernement respectait la liberté de la presse, ainsi que la liberté religieuse et sexuelle[91].
D’autre part, à la demande du Réseau Évangélique, le Secrétariat d’Éducation de Veracruz a émis des instructions dispensant les étudiants des familles évangéliques de participer aux festivités du Jour des Morts, qui sont traditionnelles au Mexique, mais pas dans la communauté évangélique[92].
Les manifestations de religiosité populaire dans la sphère publique continuent d’avoir lieu au Mexique. Par exemple, à Oaxaca, on célèbre la Journée de la Samaritaine, au cours de laquelle des jeunes femmes se déguisent et distribuent de l’eau sur des tables décorées de fleurs[93]. La Semaine Sainte est traditionnellement célébrée dans de nombreuses villes du pays. San Luis Potosí et Guerrero accueillent la Procession du Silence[94] et des dizaines de milliers de jeunes participent fin janvier[95] au pèlerinage au monument du Christ Roi à Guanajuato, au cours duquel, en 2024, le thème a été la liberté religieuse[96]. Le pèlerinage à la Basilique de Guadalupe a lieu chaque année autour du 12 décembre, et en 2024, plus de 12 millions de personnes l’ont visité ce jour-là[97].
L’Église catholique joue un rôle important au niveau social et communautaire. Face à la montée de la violence, de la corruption et de l’impunité, à Pâques 2023, la Conférence des évêques, la Conférence des Supérieurs majeurs, la province jésuite, ainsi qu’une association de laïcs, ont appelé à la tenue d’un dialogue national pour la paix à l’Université de Puebla en septembre et ont fait une proposition aux autorités et à la nation[98]. En 2024, l’Église a permis un dialogue qui a abouti à une trêve entre les cartels de la drogue dans l’État de Guerrero, une région en proie à la violence[99]. À la suite de l’assassinat de six migrants par l’armée en octobre 2024, l’archidiocèse de Mexico a exprimé son soutien aux droits des migrants transitant par le Mexique en route vers les États-Unis, en leur proposant un travail et une éducation alternatifs. Ces interventions font de l’Église une cible pour les organisations criminelles impliquées dans le trafic d’êtres humains et d’autres activités illégales[100].
En mars 2025, la Conférence épiscopale a exprimé sa profonde préoccupation face à la découverte d’un camp d’extermination appartenant à un cartel de la drogue, où les corps d’environ 200 personnes disparues auraient été brûlés. Elle a proposé ses services pour promouvoir le dialogue et la coopération, en vue de la reconstruction du tissu social[101]. La Conférence épiscopale mexicaine a dénoncé la violence et exprimé son inquiétude quant à l’existence du crime organisé dans la société et à l’impunité avec laquelle les actes de violence sont perpétrés[102].
Enfin, en mars 2025, suite à la découverte du camp d’extermination et d’entraînement du crime organisé, la Conférence épiscopale a affirmé qu’il existait de nombreux sites de ce type dans le pays, ajoutant que « ces découvertes mettent en lumière la négligence irresponsable des responsables gouvernementaux » face à l’un des problèmes critiques auxquels le pays est confronté, à savoir la disparition de personnes[103].
Perspectives pour la liberté religieuse
Le Mexique reste confronté à un scénario désolant d’assassinats de membres du clergé et de laïcs, ainsi que d’agressions, d’extorsions de fonds et de profanations de lieux de culte et d’objets sacrés, le tout aggravé par une atmosphère d’impunité flagrante. Le crime organisé, le trafic de stupéfiants, les conflits fonciers et la corruption perdurent. D’autres rapports ont conclu que le Mexique était l’un des endroits les plus dangereux au monde pour le travail pastoral. En l’absence d’action de l’État, dans les zones dominées par le crime organisé, les chefs religieux élèvent la voix contre la violence et assument le rôle de protecteurs de leurs communautés. Cela en fait des cibles, dans le but de faire peur et d’imposer le silence aux villageois, ce qui permet aux groupes criminels de continuer leurs trafics d’armes et de drogue. La tension suscité dans un pays officiellement laïc, mais comptant une forte présence religieuse, se manifeste souvent dans les discussions et dans les décisions prises aux niveaux exécutif, législatif et judiciaire. Les appels au respect de la laïcité de l’État et du principe de séparation de l’Église et de l’État jettent souvent la suspicion sur toute action ou décision reconnaissant la dimension spirituelle et/ou religieuse des personnes. Les perspectives d’avenir, déjà négatives, se sont aggravées suite aux changements de gouvernement et de pouvoir judiciaire, qui favorisent l’impunité et encouragent l’audace des criminels.
Les Mexicains se plaignent que leur droit à vivre en paix et en sécurité a été compromis par une coopération inattendue et implicite, difficile à mesurer, entre l’activité des bandes criminelles et l’inaction du gouvernement, conduisant à une spirale de violence qui prive la population des droits humains les plus fondamentaux, y compris le droit à la liberté religieuse.
Sources